Quand la cigogne passe trop tôt

"Quand la cigogne passe trop tôt"

Vécu des parents de bébé(s) prématuré(s)


         La naissance prématurée d'un bébé représente dans la plupart des situations un bouleversement pour les parents au niveau émotionnel mais aussi familial. Ce cataclysme peut venir perturber, non seulement les processus psychologiques du "devenir-parent" mais aussi la dynamique familiale. Si les familles rencontrées partagent bien souvent les mêmes inquiétudes et les mêmes interrogations, chaque histoire de naissance prématurée est différente et vient faire trace dans l'histoire familiale du nouveau-né.

        Dans cette article, nous avons décidé de laisser la place à la parole des parents, à leur vécu, à travers leurs mots mais aussi à travers leurs maux afin de mieux comprendre, de l'intérieur, l'histoire vertigineuse de "la cigogne trop pressée".

"Ma fille est plus petite qu'un paquet de farine !!!"

     Cette phrase est celle d'un papa, rencontré à l'hôpital, dans la chambre de sa femme, après avoir rendu visite à leur fille pour la première fois ensemble en service de néonatalogie.

      Le ton humoristique apparent de ce papa semble en dire long sur le choc qu'il a pu ressentir lorsqu'il a rencontré sa fille. Une petite fille "si petite.......pas plus grosse que les petites poupées de notre fille aînée" nous dira-t-il ensuite, entre l'émerveillement "c'est comme un bébé normal mais en plus petit, tout y est !" et la peur liée à la vulnérabilité, à la fragilité manifeste de sa fille.

Bien souvent le nouveau-né, prématuré ou non, est loin de ressembler non seulement au bébé imaginé par les parents au cours de la grossesse mais aussi à l'image du bébé véhiculée par les médias à destination des futurs parents. Il en découle alors un travail psychique plus ou moins important pour les parents afin que ceux-ci puissent (re)connaître leur bébé et faire le lien entre "l'enfant du dedans", ce bébé imaginé, et "l'enfant du dehors" le bébé qui vient de naître, pour reprendre les termes du Professeur de Psychologie Clinique Sylvain Missonnier.

Lorsqu'un un bébé naît prématurément, ce travail psychique est d'autant plus compliqué. En effet, si la notion de prématurité est connue et on en a déjà entendu parler, il reste difficile de se représenter "ce à quoi ressemble" un bébé prématuré. Aussi les parents rencontrés expriment bien souvent le fait d'avoir été "impressionnés" voir "choqués" à la vue de ce bébé "qui devrait être encore caché". Si les machines, sondes, perfusions qui entourent le bébé tiennent un rôle non négligeable dans cette difficulté à se le représenter, c'est à dire se faire une image mentale du bébé, les paroles des parents mettent néanmoins plus en avant l'image du corps de leur bébé difficile à mettre en lien avec du "déjà vu, déjà imaginé"; ceci pouvant alors in fine, complexifier la mise en sens de l'événement qu'ils viennent de vivre.

"Je me sens hors du temps.........hors de ma vie"

Ce ressenti apparaît souvent dans les récits des parents, et notamment des mamans, lorsque ces dernières doivent faire face à un choix impossible qui finalement n'en est pas un : passer le plus de temps possible avec bébé hospitalisé et continuer à être présente pour les autres membres de la famille. Cette impression d'être "coupée en deux", "partout et nulle part à la fois" peut entraîner beaucoup de culpabilité à travers un sentiment "de n'être jamais complètement là".

Le rythme quotidien des visites en néonat "qui enferme comme dans une bulle avec bébé où plus rien n'existe" et le retour le soir à la maison "où on essaie de rattraper le temps d'absence" plonge les mamans dans une course effrénée où elles finissent par s'oublier. Une course contre la montre qui parfois peut amener à ressentir de la colère contre le papa, lorsqu'il reprend le chemin du travail "pour qui finalement la vie continue comme avant, il a repris le travail, voit ses collègues...comme avant". Cette phrase, de cette maman dont le bébé est hospitalisé depuis plusieurs semaines, montre bien à quel point ce qu'elle vit vient faire rupture avec sa vie, et avec ce à quoi elle s'attendait.

Du côté des papas, si le vécu quotidien est différent du fait de la reprise de l'activité professionnelle, nombreux sont ceux qui expriment la difficulté et la culpabilité à avoir l'impression de "laisser leur conjointe seule durant cette épreuve"; le semblant "d'un retour à une vie normale" reste néanmoins bien loin de leur réelle préoccupation : l'hospitalisation de leur bébé.

Avoir son bébé en néonatalogie est une réelle épreuve pour chaque membre de la famille. Il semble indispensable de pouvoir s'octroyer des moments, à soi mais aussi en couple, si courts soient-ils, pour se retrouver, partager ses inquiétudes, ses ressentis mais aussi ses joies, afin de maintenir ce lien indispensable dans cette période qui semble"hors du temps", et ce afin que cette période si particulière puisse être racontée et s'inscrire dans l'histoire familiale et non devenir un secret ou source d'inquiétude pour la famille.

"Comment devenir parent dans de telles conditions?"

Aucun parent ne s'attend, ni ne peut être complètement préparé, à vivre ses premiers temps avec son bébé à travers les vitres d'une couveuse, à devoir partager cette intimité avec les soignants et les machines.

Encore une fois, le devenir parent en service de néonatalogie est bien loin des images de magazines dédiés à la parentalité, ou non.

Devenir parent représente une étape dans la vie de tout un chacun. C'est une expérience sans pareil où la vie personnelle, conjugale et familiale change, où les cartes sont redistribuées. On devient père/mère pour la première fois, nos parents deviennent grands-parents, ou encore la famille s'agrandit et l'aîné devient frère ou sœur. Cette métamorphose familiale s'accompagne bien souvent de rituels afin de présenter le dernier-né, de légitimer les places de chacun et finalement d'inscrire dans l'histoire familiale et dans la société l'existence du bébé.

Ces rituels, tels que l'envoi des faire-parts ou la présentation du bébé, sont souvent mis à mal, ou tout du moins retardés lorsque bébé arrive trop tôt. "je ne sais pas si je dois faire les faire-parts maintenant ou à la sortie de l'hôpital". L'interrogation de cette jeune maman traduit bien ce moment hors du temps sur lequel il peut être difficile de mettre un sens. Une période d'autant plus difficile qu'elle vient souvent se colorer d'angoisses en lien avec les incertitudes concernant la santé du bébé. Un temps finalement où les premiers pas en tant que parents de ce si petit bébé se font à l'image vertigineuse d'un funambule, en équilibre, suspendus, dans l'incertitude du prochain pas.......

"Et après......"

La sortie de la néonat................une attente interminable, une perspective à peine pensable, une promesse de soulagement...............et pourtant lorsque la date fatidique approche, entre empressement et angoisses, les questions se multiplient "et maintenant.....et après?" "Quelles précautions prendre?", autant d'interrogations qui viennent dire de la difficulté "à retourner à la vie dehors", à quitter ce lieu ambivalent qui a pu être identifié à la fois comme source de toutes les angoisses pour les parents, mais en même temps tellement rassurant grâce à la présence et au soutien des soignants au quotidien; un lieu indispensable au cours de ces semaines difficiles dont l'importance s'incarne à travers les nombreux témoignages de reconnaissance des parents et les liens gardés avec les soignants qui ont pris soin de leur bébé, mais aussi d'eux.

"et après.....? " Comment écrire la suite de l'histoire avec un premier chapitre si bouleversant?            " bébé et maman vont bien maintenant, la néonat c'est du passé, il faut aller de l'avant". Cette phrase est bien connue des parents et exprimée par les proches, amis, collègues rassurés de savoir bébé enfin sorti. Et pourtant, ce n'est pas si simple. Les craintes, inquiétudes, doutes ressentis par les parents pendant l'hospitalisation, l'image d'un petit être si fragile, si vulnérable ne trouvent pas toujours une résolution immédiate à la simple sortie de l'hôpital. L'histoire vécue ne s'efface pas, elle a eu lieu, elle est écrite, la page peut être difficile à tourner, le livre continue à s'écrire, enrichi de ce premier chapitre.

"et......après?"  Bien souvent les mamans viennent nous rencontrer après la sortie de l'hôpital se sentant dépassée, envahie par des émotions inattendues "Je pleure parfois, je m'inquiète d'un rien alors que maintenant tout va bien......je ne comprends pas j'étais plus forte quand mon bébé était hospitalisé alors qu'il n'allait pas bien". Cette situation est loin d'être rare et est tout à fait normale après un épisode difficile dans sa vie. En effet, il est fréquent de constater que les parents montrent des ressources auxquelles ils ne s'attendaient pas eux-mêmes au cours de l'hospitalisation de leur bébé, des ressources permettant de tenir le coup, de dépasser des angoisses insurmontables, de les mettre à distance, d'être fort pour leur bébé. C'est alors que quelques temps après le retour à la maison, quand la tension se relâche, que les angoisses s'apaisent, les émotions vécues, jusqu'alors enfouies, peuvent émerger, de façon plus ou moins bruyante, étonnant les parents et inquiétant les proches. Cette situation est fréquente et le retour à la normal survient dans la plupart des cas, en étant rassuré de voir son bébé grandir et s'épanouir. Néanmoins parfois, ces inquiétudes demeurent et font souffrir les parents qui ont besoin de revenir sur cette histoire, d'évoquer cette période avec un professionnel ou encore de partager leur vécu avec d'autres parents ayant été eux aussi confrontés à "une cigogne passée trop tôt".

Finalement, cette histoire de" la cigogne trop pressée", à l'entrecroisée de l'histoire parentale et de celle de l'enfant, commune à tous les parents ayant vécu cette épreuve et en même temps si singulière dans l'histoire de chacun, est une expérience sans pareil, parsemée de craintes mais aussi d'espoir. Il n'existe finalement pas de règles préconçues, de manière de faire, de réagir ou de se sentir, et encore moins d'injonction, sinon celle, à vous parents, de vous autoriser, à votre égard, toute la bienveillance dont vous avez besoin.

Pour aller plus loin ...

petite vidéo intéressante en cliquant sur le lien suivant :

https://www.aurore-perinat.org/sante-developpement-de-enfant/

Article rédigé en Janvier 2021 par :

  • Delpine Collin (psychologue en Néonatologie à Toulouse et Montauban)
  • Olivia Troupel (Maitre de Conférences en Psychologie de l'enfant à l'UT2J de Toulouse
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